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5 avril 2015 7 05 /04 /avril /2015 07:07

Madagascar, dit-on, serait un pays riche dont la population est pauvre. Comment comprendre ce paradoxe ? Depuis l’indépendance, le niveau de vie n’a cessé de se détériorer et la pauvreté affecte, aujourd’hui, les ¾ des malgaches si on en croit les estimations de la Banque Mondiale.

Ce résultat tient certes à un taux de croissance naturelle de la population  élevé, à peine inférieur à 3% par an ; mais d’autres raisons y contribuent qui sont d’ordre culturel. Ainsi, le rapport au temps, au travail et à l’argent est en décalage manifeste avec ce que suppose une économie susceptible d’améliorer les conditions de vie.

La première ambiguïté réside dans la conception du travail. Non que le malgache soit paresseux, bien au contraire ! Ce jugement hâtif et malveillant confond volontairement ou par ignorance, le travail lui-même avec son organisation sociale. Il n’est que de parcourir les campagnes lors des labours ou de la moisson et d’arpenter les quartiers populaires des villes, pour constater que le malgache est dur à la tâche. Levé avant le soleil, il ne craint ni la fatigue, ni la chaleur, ni le froid, ni la pluie.

Par contre, il reste attaché à ses techniques archaïques, qui sont étroitement associées à son mode de vie et à ses coutumes, alors que les exigences de la productivité restreignent et perturbent ses relations sociales. Et l’atavisme paysan se méfie de l’innovation, source de perturbation qui menace la survie…

De plus, le travail est complétement déconnecté de l’argent. Avec un S.M.I.C. de 80 000 ariary, par mois- moins de 30 euros- un travailleur peut-il loger, nourrir, soigner sa famille et assurer l’éducation de ses enfants?

 

A l’inverse, quel cadre supérieur, pour ne pas parler des politiciens, osera avouer le montant et l’origine de ses revenus ?

 

L’argent ne pouvant être le fruit du travail, comment l’acquérir, sinon par le vol, les détournements et la corruption ?

Prévalent ainsi la mentalité et les pratiques de l’économie de cueillette, voire de prédation, qui suffisait à la subsistance de la communauté traditionnelle.

 

Et faire étalage de richesse est indispensable, autrefois grâce aux zébus, aujourd’hui par la villa, la voiture ou, à défaut, le portable, la télévision, le jean et les baskets.

 

Désormais, l’expression « ny vola no maha rangary » (c’est l’argent qui fait l’homme) a remplacé le traditionnel « ny fanahy no maha olona » (c’est l’esprit qui fait l’homme).

La perception du temps constitue un autre frein au développement. Loin du temps linéaire occidental, tendu vers un but à atteindre, le temps malgache est cyclique.

 

En témoigne bien la frénésie des anniversaires et autres commémorations, tout comme le goût de la fête qui célèbre la joie de vivre, ensemble, le moment présent.

Le passé étant révolu, et le futur inaccessible, pourquoi se préoccuper d’épargne et d’investissement ?

 

Mais cette propension spontanée se modifie peu à peu, comme le prouve le succès croissant des institutions de microfinance (Otiv, Cecam, Microcred….), dans les campagnes comme dans les villes. Par ce biais, une partie de la population commence à prendre la mesure du temps, préalable à l’adoption d’une logique économique.

Reste que le quotidien est toujours dépendant du « fotoa- gasy » (le retard au rendez-vous, à la malgache), que les malgaches eux-mêmes opposent avec humour au « fotoam-bazaha » (la ponctualité au rendez-vous à l’européenne). Car si la ponctualité est la politesse des rois, passer son temps à courir après la montre n’est pas humain.

« Il n’est de richesses que d’hommes », disait le philosophe économiste du XVIe siècle, Jean BODIN.

 

A l’humain, qui est la finalité du développement, il convient donc de consacrer le temps nécessaire, sans passer d’un extrême à l’autre.

 

En préservant son art de vivre centré sur la qualité des relations humaines, la culture malgache nous rappelle opportunément que l’être prime sur l’avoir – pour autant que l’avoir soit suffisant pour vivre la dignité humaine.

Analyse de Sylvain UFER, Jésuite vivant à Madagascar depuis 1974.

 

Les jésuites sont reconnus comme spécialistes dans la connaissance de l’homme et de sa culture. Dans la « bonté » de leur foi, ils se penchent sur les communautés dans lesquelles ils vivent pour mieux les comprendre.

 

Sylvain UFER est considéré comme l’un des analystes les plus pointus de la société malgache.

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